Dans un monde technologique où la compétition est féroce et où les talents sont précieux, les entreprises réalisent que la simple mesure de la production ne suffit plus. Loin d’être un simple buzzword, le concept de « Developer Experience » (DevEx) est en train de redéfinir la manière dont les organisations conçoivent la productivité et l’innovation. Il s’agit d’un changement de paradigme : il n’est plus question de simplement se concentrer sur le « quoi » et le « combien », mais sur le « comment » et le « qui ».
Pour y voir plus clair et comprendre les implications concrètes de cette approche, Thomas Lleixa, coach DevOps chez Inside, nous livre sa vision et ses conseils pour faire du DevEx un véritable et puissant levier de performance durable.
Peux-tu nous donner ta définition du DevEx et nous dire à quel enjeu il répond ?
Le DevEx est un concept issu d’une étude universitaire de 2023, qui analyse l’expérience vécue par les développeurs comme un moteur directe de la productivité de l’entreprise. C’est une approche qui peut s’apparenter à l’UX (Expérience Utilisateur), mais appliquée à ceux qui créent le logiciel. Il est question ici de comprendre leur quotidien, leur ressenti et leur environnement pour identifier les points de friction. Un temps de compilation trop long, une documentation obsolète, une procédure de déploiement complexe, un outil peu adapté… Chaque friction éliminée est un gain direct en concentration et en efficacité.
L’enjeu est avant tout stratégique et commercial. Comprendre comment s’exprime la satisfaction client donne du sens à notre geste technique et nous rend donc plus pertinent, créatif, rapide, adaptif... Le DevEx nous invite à nous poser la question : « et si des développeurs épanouis rendaient aussi l’entreprise plus performante ?« . Les chiffres le confirment : les entreprises qui offrent un meilleur environnement de travail ont une croissance de revenus 4 à 5 fois supérieure à leurs concurrents. Un bon DevEx n’est donc pas qu’une question de confort, c’est un levier essentiel pour attirer les talents, favoriser l’innovation, optimiser les processus et, in fine, améliorer la rentabilité.
Qu’est-ce qui contribue, selon toi, à une bonne expérience développeur ?
L’étude originale identifie trois piliers fondamentaux et interdépendants qui sont au cœur d’un bon DevEx. Leur optimisation conjointe crée un cercle vertueux.
La boucle de rétroaction (Feedback Loop) : C’est la vitesse et la qualité avec lesquelles un développeur obtient un retour sur son travail. Ce feedback peut venir de l’outillage d’intégration continue (tests qui s’exécutent en quelques minutes, pipeline de déploiement continu, audit du code, etc.) ou d’interactions humaines (revues de code, retours utilisateurs). Une boucle lente crée non seulement de la frustration, mais aussi du gaspillage : le contexte est perdu, le code peut devenir obsolète, et le risque d’introduire des bugs lors de l’intégration finale augmente de façon exponentielle.
La charge cognitive : C’est la quantité d’effort mental qu’un développeur doit fournir pour accomplir une tâche. Le cerveau humain peut gérer en moyenne 7 informations simultanément. Si un code est un « plat de spaghettis » illisible, si la documentation est manquante ou si les outils sont complexes et mal intégrés, cette charge explose. Le développeur dépense une énergie précieuse non pas à créer de la valeur, mais à se battre contre son environnement. L’objectif est donc de réduire cette charge inutile au maximum avec des outils intuitifs, une documentation claire, des outils adaptés et des processus simples. Cela permet de libérer de l’espace mental pour la résolution de problèmes complexes, la créativité et l’innovation.
L’état de flow (Flow State) : Soit un état de concentration optimale, presque méditatif, où un développeur est pleinement immergé, créatif et productif. Cet état est très fragile. Il est brisé par les interruptions constantes : notifications, réunions impromptues, changements de priorités de dernière minute. Protéger et favoriser cet état de flow est donc bénéfique. Un développeur qui peut travailler en « état de flow » est jusqu’à 50% plus productif. Si, en plus, le travail est stimulant, il gagne encore 30% de productivité. Combinés, ces facteurs sont de véritables leviers d’efficacité.
Comment une organisation peut-elle concrètement améliorer son DevEx ?
L’amélioration du DevEx passe par une approche multidimensionnelle. D’abord, il faut instaurer une culture de confiance, de collaboration et d’apprentissage. C’est-à-dire une culture « générative », où l’erreur n’est pas vue comme une faute à sanctionner, mais comme une opportunité d’apprendre. Cela signifie créer un environnement de sécurité psychologique où un développeur n’a pas peur de dire « j’ai fait une bêtise » ou de proposer une idée audacieuse.
Ce qui passe indubitablement par un leadership transformationnel. Le manager doit apparaître comme un « leader servant ». Son objectif principal n’est plus de distribuer des tâches, mais de se mettre au service de son équipe pour lui fournir tout ce dont elle a besoin pour réussir. Concrètement, il s’occupe d’éliminer les obstacles, de protéger l’équipe des interruptions et de garantir la stabilité des priorités, car les changements de cap constants sont une source majeure de frustration et d’inefficacité.
L’autonomie des équipes est un autre levier puissant. Donner aux équipes pluridisciplinaires le pouvoir de choisir leurs outils et leurs méthodes de travail favorise l’engagement et la responsabilisation. Une équipe autonome développe un sentiment de « propriété » sur son produit. Elle ne se contente plus ainsi d’exécuter, elle se sent responsable de la qualité et du succès de ce qu’elle construit.
Enfin, il est fondamental de donner du sens au travail. Mettre les développeurs en relation directe avec les utilisateurs finaux peut avoir un impact immense. Quand un développeur voit concrètement que la ligne de code qu’il a écrite a une implication positive sur le quotidien d’un utilisateur, son engagement est plus fort. Passer d’une tâche abstraite à une mission concrète nourrit la motivation bien plus durablement qu’une simple prime (par exemple).
Comment mesurer l’efficacité des initiatives DevEx ?
La mesure est indispensable pour passer du ressenti, souvent subjectif, à des données factuelles qui permettent de piloter l’amélioration. Voici des exemples de KPIs qu’il est possible de placer sur les trois piliers du DevEx :
- Pour la boucle de rétroaction : Mesurer la satisfaction des développeurs (via des questionnaires, sur une échelle de 0 à 5 par exemple), le temps de cycle du développement (du premier commit à la mise en production), ou encore le temps moyen pour obtenir une réponse constructive à une question technique.
- Pour la charge cognitive : Evaluer la perception de la complexité du code, la facilité de prise en main des outils, ou des indicateurs plus précis comme le temps nécessaire pour qu’un nouveau développeur soit pleinement opérationnel sur un projet.
- Pour l’état de flow : Sonder les développeurs sur le nombre d’heures par jour qu’ils peuvent dédier au travail profond sans interruption, ou mesurer la fréquence et la durée des réunions impromptues qui viennent perturber leur concentration.
L’idée n’est pas d’être intrusif dans le quotidien du développeur, mais de lancer une prise de conscience collective et d’identifier objectivement les axes d’amélioration. Parfois, traduire le temps perdu en coût financier (TJM x nombre de personnes x temps perdu dans des processus inefficaces) est un excellent moyen de rendre le problème visible et de faire comprendre les enjeux.
Comment Inside accompagne ses clients autour de cet enjeu ?
Notre approche est holistique car chaque organisation représente un écosystème unique. Nous disposons ainsi d’une palette de compétences pour adresser le DevEx sous tous ses angles. Nous pouvons commencer par une phase de diagnostic et d’audit. À travers des analyses de métriques (issues de DORA par exemple) ou des workshops, nous dressons un état des lieux précis. L’objectif est de comprendre le contexte, la culture, les contraintes et surtout, d’écouter les perceptions des équipes pour identifier les véritables points de friction.
Ensuite, sur la base de ce diagnostic, nous co-construisons la stratégie avec le client. Nous ne venons pas avec des solutions toutes faites, mais nous aidons à définir des objectifs alignés avec la stratégie globale. Pour la partie mise en œuvre, notre accompagnement se décline donc de multiples façons. Nous proposons du coaching Craftsmanship ou Accelerate pour améliorer la qualité technique, nous mettons à disposition des Scrum Masters pour fluidifier les rituels agiles, et nous menons un accompagnement au changement structuré, en nous appuyant notamment sur notre offre DIVA, pour s’assurer de l’adhésion de tous. Enfin, nous pouvons mettre en place un suivi pour la mesure de la progression et l’amélioration continue.
Quels conseils peux-tu nous donner sur l’amélioration de la qualité des logiciels ?
Comme disait Aristote « La qualité n’est pas un acte, c’est une habitude ». Je conseille donc de commencer par initier une réflexion autour d’une démarche d’amélioration continue, de comportements récurrents, de réflexes visant la qualité. Cela peut passer par une auto-évaluation des équipes grâce à un questionnaire dédié et le recours à une méthodologie éprouvée comme Accelerate par exemple.
Je conseille également de progresser pas-à-pas, une action après l’autre pour ne pas s’éparpiller, avec un cycle PDCA (Plan-Do-Check-Act). Ce qui permet de bien objectiver ses actions pour savoir jusqu’où aller, et quand s’arrêter une fois le gain attendu atteint. Le soutien d’un sponsor provenant de la direction va grandement aider dans cette démarche.
Et comme il s’agit d’une démarche d’amélioration continue, la mise en place d’une « revue qualité » pour le client (ou l’utilisateur) est bienvenue : couverture de test, qualimétrie, rapports de bugs, taux de refactoring, état de la dette technique et de la dette fonctionnelle. Enfin, s’ils n’existent pas déjà, il faudra penser à instaurer une feuille de route d’action qui concerne la qualité du produit et l’installation d’un tableau de bord qui intègre et organise visuellement les informations sur l’état actuel des qualités du système.
Pour accompagner ses clients autour de cet enjeu de l’audit de la qualité logicielle, Inside peut proposer de l’accompagnement avec notamment des scrum masters et des chefs de projets, mais également du coaching sur les démarches Accelerate et Craftsmanship, jusqu’au jeu de cartes refactoring XPLORER pour sensibiliser les équipes aux bonnes pratiques.
Echangeons sur les avantages du DevEx !